L’Investissement Socialement Responsable, sans doute à la faveur de la crise financière déclenchée en 2007, a été l’objet d’un engouement marqué chez les distributeurs de produits financiers et les gérants d’actifs. L’impétuosité de la plupart, les bons sentiments de certains, l’âpreté commerciale ont finalement créé une confusion générale dont il faut sortir maintenant, si on ne veut pas perdre définitivement l’épargnant particulier ou l’investisseur institutionnel !

Un large champ des acteurs

Comme dans une cour de récréation de l’école communale où jouent dans le même lieu clos les petits de l’école primaire avec les grands préparant le passage au collège, les acteurs du marché se côtoient, animés également de volontés et d’esprits différents, tous aussi honorables mais parfois peu compatibles, sans compter les passagers d’un temps à la recherche d’une dynamisation commerciale.

L’ensemble est donc forcément confus.
Tentons de prendre du recul, d’avoir une vue plus claire de la situation, pour contribuer à la réflexion sur le label ISR.

Suivons Victor Hugo, dans “les châtiments – l’expiation” :
“Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l’horizon, sombre comme la mer.”

Aux bornes de la cour d’école, de la broussaille, on trouve d’un côté les “réalistes” et de l’autre les “ardents”.

Les “réalistes” sont d’abord soucieux de remplir la mission qui leur a été assignée par l’investisseur, c’est-à-dire placer l’argent confié sur des entreprises équilibrées et conscientes de leur rôle dans l’écosystème social, donc promises sans doute à un avenir intéressant : les entreprises responsables. Ce dernier terme est délicat à manier tant il y peut y avoir confusion avec une sorte d’obligation morale. La sélection de ces entreprises suppose une analyse approfondie, globale et donc cohérente, des données, financières ou non, qui les caractérisent. Ce travail exige une connaissance de l’environnement concurrentiel de l’entreprise pour pouvoir apprécier les grandeurs recueillies, en les positionnant par rapport à des ensembles comparables et homogènes. C’est d’ailleurs grâce à cet effort de compréhension que s’engage un dialogue constructif avec l’entreprise, ferment efficace d’une politique d’engagement.

De l’autre côté de la broussaille, on trouve les “ardents”, habités par l’inquiétude généreuse de l’avenir de l’humanité et de son fonctionnement en société. L’urgence morale est telle, pour eux, qu’ils se sentent le devoir, et donc le droit, d’orienter les placements des investisseurs au profit d’un certain nombre de causes, au risque parfois de l’illégitimité. Ils tentent alors ce qu’il décrive comme une sorte de pari impossible. Cette ambition se retrouve dans leur définition de l’ISR, qui affirme la nécessité de concilier investissement et développement durable. La notion de conciliation ne suppose-t-elle pas l’existence d’un conflit, ouvert ou latent, entre les deux objectifs ? De ce côté de la broussaille, s’accumulent de plus de nombreux acteurs, qui chacun donne priorité à des thèmes différents, suivant leur propre sensibilité aux grandes causes de l’humanité !

De la difficulté d’un label

Le dictionnaire Larousse nous indique que “le label est une étiquette ou marque spéciale créée par un syndicat professionnel ou un organisme parapublic, et apposée sur un produit destiné à la vente, pour en certifier l’origine, la qualité et les conditions de fabrication en conformité avec des normes préétablies”. On dit aussi label de qualité: un label peut être considéré comme la preuve de la haute qualité de quelque chose”.

L’application stricte de cette définition à l’ISR permet de conclure qu’il n’existe pas à ce jour de label dans ce domaine. L’Association Française de Gestion (AFG), assimilable à un syndicat professionnel, n’a pas créé “d’étiquette”, mais a plutôt imposé à ses adhérents un code dit de transparence dès lors qu’ils revendiquent le terme ISR sur une gestion. Novethic, organisme privé, a créé depuis quelques années déjà un label, qui a connu un certain succès, mais a subi également à de nombreuses critiques. En effet, Novethic ne peut pas revendiquer le statut de syndicat professionnel ou d’organisme parapublic. De plus une définition changeante des conditions d’attribution du label attestant d’une certaine instabilité des normes de l’ISR a suscité des réactions de refus.

Cette histoire, courte, montre la grande difficulté à définir et attribuer un label ISR.
C’est sans doute pour remédier à ces difficultés qu’un certain nombre d’acteurs se tourne actuellement vers l’État pour lui demander d’intervenir dans la sphère privée, et mettre de l’ordre dans “la broussaille” en créant ce label. La tradition colbertiste française serait-elle si profondément ancrée dans nos gènes qu’il nous faille impérativement demander l’intervention de l’État pour organiser nos affaires privées ?!

Au delà du label

La ruée sur l’ISR, très fortement amplifiée à la faveur de la crise financière actuelle, nous amène également à renouer avec nos vieilles traditions gauloises, parfaitement décrites par Jules César dans La Guerre des Gaules. Les noms des tribus gauloises sont de nos jours remplacés par des sigles et/ou des dénominations anglo-saxonnes (best in class, best in universe, ESG, etc.) de telle sorte que l’épargnant moyen, a priori plutôt réceptif au concept, se trouve totalement perdu. L’effet magique de la conversion massive et rapide des fonds traditionnels en ISR a achevé de désorienter définitivement le particulier.
L’intervention de l’État serait-elle attendue comme un coup de baguette magique permettant de réconcilier l’épargnant privé avec l’ISR ? Ne rêvons pas ! Un simple label n’y suffira pas ! Alors, un fléchage fiscal semble être une solution, éprouvée d’ailleurs ! A-t-on bien conscience qu’un État impécunieux qui viendrait à céder à cette pression ne pourrait que mettre en place un système d’une complexité rare (une usine à gaz), pour s’assurer que l’épargne est bien investie dans ses objectifs propres, environnementaux, sociaux, voire même de gouvernance d’entreprise ? À moins que le label ne soit un moyen d’orienter l’épargne vers des thèmes d’investissements particuliers, pas évidemment et forcément compatibles avec une bonne rentabilité financière. “La broussaille” sera, à coup sûr, plus effroyable encore !

Retour à la réalité avec quelques observations simples.

Peu à peu, au fil des années, les normes du reporting financier se sont imposées. L’intervention des pouvoirs publics a été rendue nnécessaire, à certains moments, pour éviter les abus de langage commerciaux ou les présentations fallacieuses susceptibles d’induire l’épargnant en erreur. La communauté financière des gérants d’actifs et des investisseurs s’y est faite, même si parfois des lourdeurs administratives mériteraient d’être réduites. Il pourrait sans doute en être de même pour ce qui concerne le reporting extra-financier. L’épargnant doit pouvoir juger de l’intégration des questions sociales, environnementales, de gouvernance, ou même éthiques, si un compte rendu, lisible, est établi clairement et sans tromperie.
Il faut cependant faire accepter au préalable que l’Investissement Socialement Responsable ne peut pas être accessible à tout un chacun par une lecture rapide et superficielle. En effet pour s’assurer de la qualité de l’investissement, il faut prendre connaissance du compte rendu extra financier et le confronter à la performance financière réalisée, tout en ayant bien conscience que sur ce dernier point, les performances passées ne sont pas un gage des réalisations futures. L’investisseur doit y consacrer un temps minimum, qui ne peut pas être réduit par l’effet d’une simple notation, par trop caricaturale.
De plus, établir un tel compte rendu, sérieux et complet, exige aujourd’hui un effort de recherche important. À cet égard, on fera remarquer que l’aide de l’Etat obtenu grâce à un crédit d’impôt-recherche dans ce domaine constitue en réalité un véritable gage de qualité, un label, lorsqu’on sait l’examen attentif auquel se livrent les autorités publiques pour pouvoir accorder cet avantage.

Olivier Johanet – septembre 2014

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