Beaucoup d’économistes et de financiers se posent la question de la vigueur de la croissance chinoise, pas tant par sollicitude vis-à-vis de ce pays mais parce que son dynamisme est un des principaux moteurs de la croissance mondiale et donc occidentale.
Après un long entretien avec Monsieur Philippe Bouyoux, chef du service économique à l’Ambassade de France en Chine, à l’occasion d’un voyage en Chine, nous parvenons à quelques conclusions.
Cette note n’a pas la prétention d’être une étude économique approfondie mais plutôt la relation de sentiments d’un voyageur, à la recherche d’une meilleure compréhension, à défaut de connaissance, de la Chine moderne à raison de nombreuses visites, discussions et échanges sur place avec des locaux et des expatriés.

On parle beaucoup en France de ralentissement de la croissance chinoise, ou même d’atterrissage (landing) en s’interrogeant sur le profil de cet atterrissage, doux (soft landing) ou dur (hard landing, voire même crash landing). Il semblerait que tous en Europe s’accordent sur le caractère inévitable du « landing », estimant que le rythme de croissance actuel en Chine n’est pas tenable à court terme.
Notre sentiment est qu’en réalité personne en Chine ne recherche un quelconque atterrissage. Bien au contraire ! Il est de la plus haute importance pour les autorités publiques chinoises de maintenir un rythme de croissance élevé pour satisfaire les énormes besoins de la population. Il faut d’une part permettre à un grand nombre de sans-travail, d’agriculteurs ou de travailleurs précaires et « invisibles » de sortir du niveau de pauvreté qui les caractérise. D’autre part, une grande partie de jeunes parvenus au seuil de la classe moyenne (revenus supérieurs à 15 000€ par an) ont l’absolue volonté, pour des raisons d’image sociale notamment, de s’y maintenir et de progresser : ils ne peuvent être déçus. Enfin, la Chine a encore un énorme besoin d’un tissu industriel et commercial efficace et d’infrastructures modernes.
Certes, ce souhait gouvernemental ne va pas sans difficultés, tant les attentes sont importantes et les problèmes à régler rapidement impératifs.
Les mauvaises dettes financières et industrielles souscrites par des banques mal régulées ou peu regardantes, ou par des entreprises publiques à la gestion déplorable sont sans doute une des questions les plus contraignantes. Il faut en effet faire la place à des entrepreneurs individuels audacieux et capables de grand succès, qui devront cependant être plus attentifs au droit du travail.
La question sociale est également un enjeu majeur immédiat, quand on sait que la population urbaine atteint un niveau de l’ordre de 56% de la population totale du fait d’un exode rural massif, qui se poursuit encore aujourd’hui malgré les efforts du gouvernement pour maintenir les populations à la campagne. A ce sujet, il faut savoir qu’environ 300 millions de personnes ne sont pas enregistrées (les mingongs : ouvriers paysans) parties à la ville sans « Hukou », c’est à dire sans autorisation. De ce fait ces personnes, et leurs enfants, ne bénéficient plus d’aucune protection ni aide sociale (école, santé, prévoyance, etc…). Elles ont en effet préféré abandonner tous les droits sociaux rattachés à leur lieu de naissance pour l’espoir, généralement vain, d’une vie meilleure en ville. Cette question est hautement politique car s’est ainsi créée une immense zone d’ombre, non contrôlée, donc intolérable dans la Chine d’aujourd’hui. Pour autant, la question est délicate car cette population de mingongs est un artisan important de la croissance chinoise de ces dernières années, compte tenu du très faible coût de cette main d’œuvre, et de son absence des statistiques du chômage notamment.
Le gouvernement doit également faire face aux très fortes disparités géographiques, mise de plus en plus en lumière par les réseaux sociaux, parfois avec violence, entre les régions très agricoles souvent isolées ou mal reliées, et les régions industrielles et commerciales situées le long des côtes maritimes ou des grands fleuves traditionnellement propices aux échanges nationaux et internationaux.

Il faut bien prendre conscience que ces problèmes d’aujourd’hui sont du même type que ceux qui ont été rencontrés tout au long de l’histoire de la Chine. L’immensité du territoire, difficile à contrôler, et également de la population, compliquent particulièrement l’organisation d’un développement équilibré.
Le système de gouvernement chinois est depuis des siècles traditionnellement centralisé avec un régime central fort et autoritaire. Ce régime sait qu’il doit néanmoins être à l’écoute des besoins et des attentes du peuple, au risque de voir naitre et se développer des révoltes locales susceptibles de prendre une ampleur de très grande envergure, et donc catastrophique. Ainsi, c’est lors d’une révolte paysanne, devenue généralisée, que la dynastie Ming tombe en 1644, avec le suicide de l’empereur Chongzhen. La révolte des boxers à la fin du XIXème siècle trouve sa source dans des révoltes de la Chine traditionnelle contre les tentatives d’ouverture culturelles et économiques et de modernisme. Elle aboutit à l‘agression très violente des colonies et légations étrangères et, en réaction, leur intervention militaire, puis à la défaite de la Chine face aux puissances occidentales et enfin à la chute de la dynastie Qing et l’instauration de la république en 1912. On connait la suite de l’histoire….

On comprend donc le défi auquel le gouvernement doit faire face : l’ouverture du système et sa modernisation en évitant le plus possible les chocs destructeurs. Monsieur Bouyoux, chef du service économique de l’ambassade de France en Chine estime que globalement les résultats économiques sont plutôt bons et montrent la grande habileté des équipes en place. La ligne suivie est clairement celle des réformes structurelles et de l’ouverture, avec une politique active de l’offre, en donnant plus de poids aux mécanismes de marché et un rôle moteur à l’innovation. Les politiques budgétaires et monétaires doivent permettre d’éviter (ou d’atténuer les effets) d’éventuels accidents.

Le renouvellement et le raffermissement de l’équipe de Xi Jing-Ping, dont la loyauté doit renforcer la volonté réformatrice du gouvernement, est un des enjeux principaux du 19éme congrès d’octobre 2017.

Olivier Johanet
Le 8 aout 2017

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